jeudi 20 février 2025

Parfumeurs : l'aventure des Roure


Des perruquiers aux maîtres gantiers, les grassois entre le 17e siècle et le début du XIXe pouvaient naturellement aborder les frontières du monde des odeurs, puis d'un art de plus en plus sophistiqué vers l'univers de la Parfumerie.

Ce fut l'aventure de la famille Roure. A travers sept générations, elle traversa les continents, rassemblant les essences les plus subtiles et inventa la parfumerie moderne dans ses laboratoires de Grasse.

De l'usine fondée en 1820 sur les pentes de la ville, aux moments où la famille quitta l'industrie vers 1940, quelques photos, objets rassemblés m'invitent à créer ce blog pour les partager plus largement sur la toile, compléter des fonds documentaires et rendre hommage à ces grands inventeurs et industriels.

Il me manque bien souvent des légendes sur les salles de l'usine, les préparations utilisées, les plantes traitées. Aussi n'hésitez pas à partager vos commentaires... Bertrand

Grasse : capitale mondiale des parfums

© Auteur du blog "... histoire des Roure" et famille Roure

Sur les hauteurs de Grasse, un après-midi vers 1900. Pause salutaire au fil de la promenade après cette éreintante montée, sous les ombrages de cet arbre vénérable. L'enfant du premier plan observe avec intérêt la ville des parfumeurs. De son coeur médiévale historique, aux alentours où s'épanouissent les différentes usines des industriels des essences. Roure, Chiris, Molinard, Bruno Court, Hugues-Aîné, Charabot, Payan et Bertrand, Mane...

J'aime cette photo qui donne un aperçu poétique de ce monde industriel, où des générations d'enfants du pays trouveront leur métier et assureront la renommée de la ville de Grasse très largement dans le monde.

Mémoire oubliée des Roure : parfums

© Auteur du blog "... histoire des Roure" et famille Roure

Je n'ai pas connu l'ambiance de l'usine de parfum. La famille avait quitté cette industrie quand mon arrière grand-père avait autour de 40 ans. Ancien HEC, aux méthodes de management peut-être iconoclastes, il décida de quitter le trio familial qui avait repris l'usine à la mort de Louis Maximin Roure. Portant le même nom que celui de la société, une clause de non-concurrence signée avec son frère et sa soeur l'empêchait d'exercer ce métier près de 30 ans.

Aussi nous n'avons pas baigné dans cet univers. Je crois même que ce monde secret, convoité, disputé de la parfumerie, invita la famille à prendre un peu le large. Nous n'en parlions plus. Petit-fils j'ignorais même jusqu'à l'existence de cette aventure des anciens sur deux siècles.

Une allusion de ma grand-mère quand j'avais 13 ans, alors que je m'enthousiasmais pour une de cologne de lavande au parfum infiniment subtile, comparable aux créations inoubliables de la parfumerie Profumo Farmaceutica SM Novella de Florence fondé en 1612, me laissa comme un sentiment d'interdit. "Nous devrions en faire un parfumeur". Le silence entoura cette évocation.

Il ne me semble pas me souvenir d'autres commentaires sur ce passé des parfumeurs. Mon arrière grand-père avait bien cherché à la fin de sa vie, à reprendre une autre usine de Grasse. Celle des Bruno Court. Pour relancer la dynamique de la famille dans ce métier et laisser quelque chose peut-être à ses petits-enfants. Les 30 ans étaient passés. Il disposait du droit de revenir dans cet univers. Mais ce fut loin d'être un succès.

A 17 ans, ma grand-mère nous quitta. Et avec elle la dernière descendante des Roure parfumeurs. Le nom perdurait encore dans la société éponyme avant de s'effacer dans la compagnie Givaudan. Cettte année là, je découvrais différentes facettes oubliées de la famille. Les archives tout d'abord. Tous ces papiers conservés sur 5 à 6 générations. Des malles aux souvenirs. Un passé qui fait face. Le monde des parfums et sa cohorte de secrets bien gardés.

Quelques photos mais peu d'objets de la Parfumerie Roure étaient arrivés jusqu'à nous.
Aussi je m'enthousiasmais sur eBay en découvrant aux hasards des recherches quelques bouteilles d'absolu ou des compositions d'essences oubliées. Les codes un peu cabalistiques cachent peut-être un grand parfum préparé pour une maison de Paris, et flottent ainsi quelques mystères. Il ne pouvait s'agir pour moi d'un ersatz de la "madeleine de Proust". Mais j'avais le sentiment de renouer ainsi par le chemin du sens olfactif avec notre histoire commune, familiale et oubliée.

mercredi 16 septembre 2009

Voiture Roure vers 1870

© Tirage contemporain d'après plaque de verre
Collection privée.

Dans l'arrière pays Grassois, le cocher en haut de forme, attend Monsieur et Madame Louis Maximin Roure.
L'attelage ne manque pas de distinction avec ces deux chevaux au pelage lustré, et une voiture vernie simple et soignée.

mercredi 22 juillet 2009

Hommage à Louis AMIC (Maison Roure), - prononcé le 13 octobre 1977 devant la STPF

Les connexions établies à travers le monde des blogs sont toujours surprenantes et inattendues.
Lors de quelques échanges avec Monsieur Denis Gutsatz, fils de Yuri GUTSATZ (1914 - 2005) parfumeur compositeur ayant exercé dans les plus grandes entreprises de parfum dont la société Roure, nous évoquions Louis Amic, un des présidents de cette maison grassoise.
Son père également fondateur de la maison "Le jardin retrouvé" lui rendit hommage le 13 octobre 1977 devant la STPF :

"Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Malgré la profonde tristesse qui m'envahit, je remercie le Président SABETAY de m'avoir demandé de parler ce soir de Louis AMIC, disparu en Juin de cette année, à l'âge de 73 ans, terrassé par une implacable maladie.

Parler de Louis AMIC est une tâche qui m'honore, parler de lui est une tâche redoutable, une tâche passionnante - pour moi une tâche bouleversante, car parler de Louis AMIC c'est parler de toute la PARFUMERIE, de toute une conception de la Parfumerie, c'est aussi parler de la moitié de ma propre vie, car au cours des 31 ans où j'ai eu le privilège, la satisfaction, la joie même, de travailler pour lui, avec lui, dans son sillage - il est devenu pour moi un symbole, un guide, un frère aîné, un AMI.

On a l'habitude, en parlant d'un disparu, de dire que la place restée vide est difficile à combler.Je crois que ce cliché, éculé pourtant, n'a jamais été aussi vrai que lorsqu'on dit que personne ne pourrait remplacer Louis AMIC.

Avec sa disparition, une page de la Parfumerie est tournée, un chapitre clos, une époque révolue. Et quelle page, quel chapitre, quelle époque !Mais ce qu'il a semé porte aujourd'hui ses fruits et la récolte est belle. Vous lirez la biographie de Louis AMIC dans nos revues professionnelles et je ne m'attarderai pas à vous citer des faits chronologiques, à parler de ses études, de ses débuts, de ses titres, de ses décorations.

Je dirai seulement que Louis AMIC est issu d'une vieille famille provençale : par sa mère, fils, petit-fils, arrière petit-fils, neveu de la lignée des ROURE qui dès 1820 ont pris rang parmi les grassois qui consacrèrent leurs efforts a la parfumerie naissante, et par son père, le Sénateur des Alpes-Maritimes, Jean AMIC, issu lui aussi d'une vieille famille provençale de fabricants d'huile d'olive.

Que faut-il de plus pour former un homme dont les racines plongent aussi profondément dans cette terre provençale, cette terre latine et méditerranéenne, pétrie de souvenirs, terre tri millénaire témoin de tant de civilisations a qui nous devons tant.
Il y avait toujours en Louis AMIC un reflet de ce ciel limpide du midi, une chaleur humaine extraordinaire, une générosité, une compréhension des êtres et des choses, un humanisme profond à côté d'une culture vaste et universelle, une curiosité toujours en éveil et par dessus tout une passion pour la Parfumerie.

Dois-je vraiment rappeler tout ce que la Parfumerie lui doit ? Ce que nous tous lui devons ? Ce que moi, personnellement, je lui dois ?
Il faut que je parle de Louis AMIC, tel que je l'ai connu, en évoquant brièvement quelques souvenirs, quelques images, qui, je le crois, sont plus précieuses que des dithyrambes grandiloquents prononcés avec des trémolos dans la voix au-dessus d'une tombe encore fraîche, mais je sais que ma voix va trembler et mes yeux s'embuer de larmes...

Car en parlant de Louis AMIC je regarde aussi mon propre passé, ma jeunesse, mes aspirations, mes ambitions, le chemin parcouru depuis notre première rencontre.J'ai, pour la première fois, entendu parler de Louis AMIC il y a 40 ans, en 1937, quand débutant dans la Parfumerie, jeune homme sans expérience ni connaissances, un ami plus ancien que moi dans le métier, m'a dit un jour :" il y a à Paris un type formidable, qui est une sommité dans notre métier, un certain Monsieur AMIC - il faudrait que tu puisses faire sa connaissance."

Cette connaissance je l'ai faite huit ans plus tard, quand le regretté Jean CARLES que je connaissais assez bien, rencontré un jour faste pour moi, en Septembre 1945 sur le quai du métro de l'ETOILE, m'a dit "que faites-vous a Paris ?" (nous nous sommes connus à Marseille pendant les années noires) et à ma réponse : "je cherche du travail", il m'a dit : "venez demain rue du Rocher chez Roure, je vous présenterai à Louis AMIC".

Le lendemain - ou était-ce huit jours après, peu importe, je suis entré dans ce petit bureau sombre où se tenait Louis AMIC qui, après quelques questions sur mes connaissances et mes qualifications, m'a engagé comme chef de laboratoire d'étude et je me souviendrai toujours de cette boutade, dont il avait le secret : Il m'a dit "quand aux heures de présence, je mien fous. L'essentiel c'est que vous soyez là quand j'ai besoin de vous.Et en fait, pendant prés de dix ans entre Mai 1947 et Mars 1957 quand je suis parti en INDE pour ROURE, installé dans un laboratoire au rez-de-chaussée du Siège, rue Legendre, je suis devenu le "Parfumeur du Roi" comme j'aimais le dire en plaisantant à l'époque.

Mais le "roi" avait des idées : il en débordait. Il avait ce don rarissime de savoir inspirer, diriger, orienter le travail des parfumeurs, leur communiquer ses propres visions, des propres idées, les stimuler, les faire réfléchir pour donner le meilleur d'eux mêmes.Et pourtant il aimait a répéter constamment : je ne suis pas parfumeur, je ne connais rien a la technique !Mais ceci était sans importance car son sens de la matière première, son incomparable flair commercial, ses connaissances du monde international de la Parfumerie connaissait, et connaissant bien tout le monde a Paris, a New York, a Londres et même a Moscou - il disait : "Je suis la concierge de la Parfumerie internationale" - étaient ce qu'il y avait de plus précieux pour les techniciens enfermés dans leurs tours d'ivoire sans grand contact a l'époque avec le monde extérieur.

Je pense que mes collègues des années cinquante, Francis FABRON, Jacqueline KEIP-COUTURIER, Yolande LABORDE-JERROLD, Simone CARINI, Jean MARTIN, les autres ont disparu comme Germaine CELLIER, cette femme bourrée de talent, ou Jean CARLES le parfumeur prestidigitateur génial, se souviendront comme moi, ainsi que ceux qui vinrent plus tard grossir les rangs des parfumeurs de la Maison, et bien entendu tous ceux qui forment l'équipe actuelle, des séances d'olfaction et de sélection dans le bureau de Louis AMIC, Président de la Société entre 1960 et 1969, Président d'honneur par la suite.

Le téléphone sonnait.Ou bien c'était la voix abrupte et bourrue de Louis AMIC - oh, comme les secrétaires tremblaient devant ses colères violentes et passagères comme un orage de printemps en Provence, car la patience dans ces années-là n'était pas son fort - oui, sa voix abrupte et bourrue : "venez me voir !", ou bien la standardiste : "Monsieur Louis AMIC aimerait bien vous voir".Et c'était le feu d'artifice quand on lui montrait les derniers essais issus d'ailleurs d'un entretien avec lui, parfois de la veille seulement, car il fallait lui répondre avec des essais, très, très rapidement, tant que Louis AMIC était encore branché sur une idée.On trempait les mouillettes et on les lui tendait.

Nous avions vite appris que faire des commentaires était inutile.Il aimait à dire : "surtout ne me dites rien !"Il sentait, et là il aurait fallu la présence d'une caméra pour fixer sur la pellicule les attitudes de Louis AMIC.
Si l'essai ne répondait pas à ce qu'il attendait, la mouillette était jetée par terre avec un commentaire du genre : "cela ne vaut pas tripette !"Si son attention était attirée, il se tournait dans son fauteuil pivotant, fermait les yeux comme un chat devant le feu, humait longuement, attentivement, disait - s'il y avait deux ou trois variantes - : "mélangez-moi les papiers !" pour les ressentir encore et vérifier sa première impression, se délectant visiblement a cette opération, se pénétrant de l'odeur et puis avec autant de détermination que pour écarter un essai, il se répandait en compliments souvent peu mérités.

Puis venait la parole définitive qui maintes fois a été le début d'un succès commercial : "ça, vous l'envoyez (ou tu l'envoies, car il tutoyait certains, surtout les grassois et les jeunes) a un tel, un tel et un tel..."

Vous pouvez lire la suite en suivant ce lien vers le site du Jardin retrouvé.
Merci à Denis Gutsatz pour son autorisation de publier ce texte sur le blog.

samedi 21 juin 2008

Roure : culture de la tubéreuse à Grasse

© Auteur du blog "... histoire des Roure" et famille Roure

Nous sommes sans doute au tout début du XXe siècle sur les terres cultivées proches de la ville de Grasse. Aujourd'hui, villa, mas s'épanouissent partout sur la Côte d'Azur. Hier des champs à perte de vue cultivaient les essences rares utiles en parfumerie, profitant de ce climat privilégié.

Ce champ dépend de la Parfumerie Roure. Sept femmes et deux hommes en veste, se concentrent sur la récolte des tubéreuses. Au début du XIXe siècle, on récoltait à Grasse autour de 20 tonnes de cette fleur par an. Puis ensuite cette production passa à plus de 100 tonnes par an avant de décliner pour ne produire aujourd'hui qu'une seule tonne sur les terres de Grasse.

Cette plante provenant de Perse fut introduite en Provence autour de 1632. Elle intéressa très tôt la parfumerie.

Sur cette photo de l'usine Roure, nous sommes au mois de Juillet, probablement très tôt dans la journée, deux, trois heures après le lever du soleil, au moment ou la tubéreuse comme les oeillets révèlent avec puissance leur odeur subtile.

Des pétales, après enfleurage à froid, l'usine tirera l'absolue de Tubéreuse. La fleur passera ainsi 72h sur la graisse animale pour déposer son parfum.

Aujourd'hui, si l'enfleurage est encore partiqué à Grasse, la majorité des extractions se font avec l'aide de solvants.

mardi 18 décembre 2007

L'orgue à parfum de Bruno Court, champ immense ouvert à la créativité

© Auteur du blog "... histoire des Roure" et famille Roure

Au tournant du siècle. Pas celui-ci. Le précédent. Louis-Maximin Roure s'effaçait dans sa villa de Cannes. Il laissa la parfumerie Roure Bertrand Fils à ses trois enfants : Marie, Louis fils, et Jean le plus jeune.

Bien plus tard les trois enfants se séparèrent. Marie et Louis reprirent les rênes de l'affaire. Tandis que Jean Roure reprenait ses parts. Ce ne fut pas simple. Une réelle rupture. Avec sa cohorte de secrets, d'intrigues comme nous en trouvions à cette époque dans le monde la parfumerie et ce milieu très fermé des grandes maisons de la ville de Grasse.

Jean laissa de côté pendant de nombreuses années le monde de la parfumerie, ayant signé une clause de non-concurrence avec son frère et sa soeur. Il portait en effet le même nom que la compagnie fondée par la famille en 1820. Il vécut ainsi de ses rentes avec sa petite famille...

Puis bien plus tard à la fin de sa vie, il eut envie de laisser quelque chose à ses petits enfants. La clause de non-concurrence étant caduque, il pouvait revenir dans le monde la parfumerie. A cette occasion il racheta une parfumerie Grassoise : l'usine Bruno Court. Pour une somme rondelette. Cependant les techniques d'hier n'étaient plus les mêmes. La deuxième révolution industrielle dans le monde de la parfumerie était en marche. Les compagnies se restructuraient, mettaient en place de nouveaux processus.

Il fit venir venir les meilleurs nez pour inventer de nouveaux parfums, comme à la grande époque. Cette photo du photographe Roger Porta à Grasse, sans doute des années 50 montre l'orgue à parfum de l'usine Bruno Court. Les milliers de flacons laissent imaginer le champ ouvert de créativité pour les nez. Il devait y être possible de tout recomposer ou presque, d'inventer les fragrances les plus subtiles. L'image d'Epinale de l'orgue à parfums consiste en un meuble en forme de demi-lune avec plusieurs petites étagères offrant les différentes familles d'essences. Ici, il en est tout autre, l'orgue à parfum occupe toute la pièce, l'ensemble des étagères... Je me prendrais presque à rêver d'y être une petite souris et d'observer ces professionnels à l'ouvrage durant quelques heures, avant que leur épithélium nasale ne ses sature.

Un rêve qui clôture provisoirement le blog avec cette nouvelle, après un an d'expérience et de multiples partages comme sur les autres blogs : "Sur les pas d'une collection" et "Histoire des Brocard : monde des parfums en Russie". Nous reviendrons. A bientôt...